Par Louis Martel*
À plusieurs reprises dans leur histoire, les États-Unis ont adopté des politiques protectionnistes pour vite réaliser qu’elles nuisaient aux Américains. Beaucoup d’attention a été portée à la menace de tarifs douaniers de l’administration Trump. Mais une autre proposition passée sous le radar – l’imposition de droits portuaires exorbitants à tout navire construit en Chine – aura des conséquences tout aussi désastreuses sur les exportateurs canadiens et créera des défis importants pour l’économie américaine.
En mars 2024, l’ancien président Joe Biden a demandé au United States Trade Representative (USTR) d’enquêter sur les pratiques commerciales déloyales de la Chine dans les secteurs de la construction navale, du transport maritime et de la logistique. La pétition à l’origine de l’enquête proposait des mesures correctives, notamment l’imposition d’une taxe d’un million de dollars américains à tous les navires construits en Chine qui accostent dans les ports américains.
Quelques semaines seulement après l’investiture du président Trump, cette proposition revient en force. L’USTR envisage maintenant des droits pouvant atteindre 1,5 million de dollars américains pour tout navire construit en Chine qui accoste aux États-Unis, ainsi que des droits pouvant atteindre 1 million de dollars américains en fonction du pourcentage de commandes de navires que les opérateurs placent dans des chantiers navals chinois. L’ensemble de ces droits pourrait entraîner des frais allant jusqu’à 4 millions de dollars américains par navire.
Impact à l’échelle du continent des droits sur les navires construits en Chine
Ces nouvelles règles auraient un impact dévastateur sur les entreprises qui dépendent du transport maritime sur les Grands Lacs et le long des côtes pour recevoir et expédier des marchandises essentielles. En effet, de nombreuses sociétés de transport maritime opèrent des navires construits en Chine pour le transport maritime courte distance, et ces règles perturberaient cette chaîne d’approvisionnement névralgique.
En des termes plus clairs : le commerce maritime de Chicago à Montréal, de Thunder Bay à Detroit, de Victoria à Long Beach et de Baltimore à Halifax, est sérieusement menacé. C’est un problème qui devrait vous préoccuper, que vous viviez au Canada ou aux États-Unis.
S’ils sont mis en œuvre, les droits portuaires vont :
- Perturber les chaînes d’approvisionnement en augmentant le coût du transport maritime courte distance, ce qui fera augmenter le prix de nombreux produits.
- Forcer les expéditeurs à utiliser le transport par voie terrestre, augmentant ainsi la congestion des chemins de fer et des autoroutes déjà surchargés, en plus d’émettre davantage de gaz à effet de serre.
- Punir injustement le Canada, car près de 45 % des navires de la flotte canadienne des Grands Lacs ont été construits en Chine en raison des politiques commerciales antérieures qui ont encouragé l’achat de navires étrangers.
Au lieu de pénaliser sans distinction tous les navires construits en Chine, l’USTR devrait faire les distinctions nécessaires afin de protéger les chaines d’approvisionnement locales et les corridors commerciaux nord-américains tout en ciblant le vrai problème, soit la concurrence déloyale de l’industrie maritime soutenue par l’État chinois.
Si rien n’est fait, les droits portuaires imposés par M. Trump vont non seulement mettre en cause la viabilité de nos flottes, ils augmenteront le coût de faire des affaires dans plusieurs secteurs clés tels que l’énergie, l’industrie manufacturière et l’agriculture.
Cette proposition est une menace directe à l’économie du Canada et le gouvernement canadien doit la traiter comme tel. Le gouvernement du Canada doit être prêt à répondre par des mesures de rétorsion comme des droits de douane ciblés sur les principales exportations américaines. Il doit également redoubler ses efforts diplomatiques pour unir nos alliés contre les politiques commerciales déloyales.
L’histoire démontre que les mesures protectionnistes telles que les droits de douane ou les taxes portuaires, atteignent rarement leurs objectifs sans provoquer d’importants dommages collatéraux. Plutôt que de répéter les erreurs du passé, les États-Unis devraient recalibrer leur approche pour s’assurer que des alliés comme le Canada ne soient pas pris par inadvertance dans le feu croisé de leurs différends économiques avec la Chine. Si le président refuse de reconsidérer sa position, le Canada doit riposter.
(Photo de David Schauer d’un navire CSL au port de Duluth, Minnesota)
*Louis Martel est président et chef de la diréction du Groupe CSL.