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Sur notre Forum: Grandes lacunes dans l’état de préparation du Canada aux situations d’urgence maritime

Par Yoan Marier*

Les conséquences d’un accident maritime ne sont pas seulement ressenties au moment où une catastrophe survient ou au cours des moments éprouvants qui s’en suivent. Elles se font ressentir également des jours, des mois, des années et même des décennies plus tard.

C’est ce que nous avons constaté dans le cas de la perte de conteneurs à la mer et de l’incendie survenus à bord du porte-conteneurs ZIM Kingston : les conséquences de cet événement sont persistantes et importantes. Trois ans plus tard, nous ne sommes toujours pas en mesure de prédire les conséquences à long terme que le présent événement et d’autres événements semblables continuent d’avoir sur les eaux et les côtes canadiennes.

Le 21 octobre 2021, en attendant qu’un poste de mouillage se libère, le ZIM Kingston dérivait à l’extérieur du détroit Juan de Fuca lorsqu’il a été exposé à de forts coups de vent et des vagues de cinq à six mètres. Par conséquent, le navire a subi une série de mouvements latéraux violents, ce qui a entraîné la perte de 109 conteneurs à la mer et endommagé plusieurs autres conteneurs. Environ 36 heures plus tard, alors que le navire était ancré au large de Victoria (Colombie-Britannique), un incendie s’est déclaré dans un conteneur endommagé qui contenait des marchandises dangereuses. L’incendie s’est ensuite propagé à des conteneurs voisins et a duré pendant 5 jours avant d’être déclaré éteint.

À ce jour, parmi les 1490 tonnes perdues à la mer, seulement environ 48 tonnes ont été récupérées pendant les efforts de nettoyage à court terme, ce qui signifie que 97 % des débris demeurent dans nos eaux ou s’échouent le long des côtes.

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada a enquêté sur cet événement dans le but de déterminer ce qui s’est passé et pourquoi. Récemment, nous avons publié notre rapport d’enquête (M21P0297), qui met en lumière les défis de la gestion des urgences maritimes.

L’absence de directives sur le roulis paramétrique

Les essais sur modèle effectués au cours de notre enquête ont démontré que le ZIM Kingston avait été soumis à un roulis paramétrique. Ce phénomène complexe et difficile à prévoir se produit lorsque les conditions de la mer sont combinées à d’autres facteurs ou interagissent avec eux (souvent, des facteurs spécifiques au navire comme sa stabilité, sa vitesse, la forme de sa coque et sa longueur) d’une façon précise et génère soudainement des mouvements de roulis dangereux.

Notre enquête a révélé que le risque de roulis paramétrique aurait pu être décelé à l’aide des documents d’orientation dont dispose généralement l’industrie. Toutefois, ils ne se trouvaient pas à bord du ZIM Kingston au moment de l’événement. Par ailleurs, notre enquête a fait ressortir des incohérences et des lacunes dans la formation des membres d’équipes à la passerelle et dans l’adoption de procédures et d’outils pour les aider à gérer le risque de roulis paramétrique.

L’Organisation maritime internationale prend des mesures pour mettre à jour les directives de l’industrie pour la gestion du roulis paramétrique; toutefois, ces mesures prendront du temps. Dans l’intervalle, le Bureau craint que l’absence de directives à jour et exhaustives de l’industrie pour la gestion du roulis paramétrique puisse faire que les politiques, les procédures, les outils et la formation des compagnies soient incohérents, inefficaces ou totalement absents, ce qui pourrait entraîner de nouvelles pertes de conteneurs et les conséquences négatives qui en découlent pour la sécurité et l’environnement.

L’événement mettant en cause le ZIM Kingston est un exemple parmi plusieurs qui met en évidence les lacunes dans l’état de préparation du Canada aux situations d’urgence, y compris la disponibilité des ressources pour intervenir en cas d’incendie et d’incidents mettant en cause des substances nocives et dangereuses.

Après que l’incendie s’est déclaré à bord du navire, l’équipage est intervenu avec tout l’équipement qui était à sa disposition. Toutefois, l’incendie a dépassé sa capacité d’intervention et de l’aide extérieure a été nécessaire. L’intervention d’urgence qui a suivi a été déclenchée principalement en raison de circonstances imprévues, mais fortunées. Contrairement aux États-Unis, le Canada n’exige pas de plans préétablis d’intervention en cas d’urgence ou de sauvetage maritime. De plus, la Garde côtière canadienne ne participe pas directement aux activités de lutte contre les incendies maritimes, et elle ne dispose pas non plus de capacités de lutte contre les incendies qui lui permettraient d’intervenir directement en cas d’incendie sur un navire. Dans l’événement à l’étude, heureusement, le gestionnaire du navire avait pris les dispositions préalables pour une intervention d’urgence afin de se conformer à la législation américaine et c’est seulement par pur hasard que deux navires équipés pour la lutte contre les incendies se trouvaient à proximité.

Le gouvernement fédéral reconnaît la nécessité d’améliorer l’état de préparation face aux événements mettant en cause des substances nocives et potentiellement dangereuses et a annoncé son intention de mettre en place un système national unique permettant d’intervenir en cas d’incident de pollution marine d’ici 2027. Transports Canada élabore un règlement qui obligera la prise de dispositions en matière d’intervention d’urgence, mais le ministère estime que le règlement ne sera pas en place avant 2028.

Bien que ces mesures soient encourageantes, nous savons par expérience ce processus prend du temps, et il pourrait y avoir des délais imprévus. C’est pourquoi le Bureau se préoccupe du fait qu’il y a des lacunes dans l’état de préparation du Canada relativement aux urgences maritimes qui dépassent la capacité d’intervention de l’équipage d’un navire, ce qui présente un risque pour les navires, pour l’environnement, ainsi que pour la santé et la sécurité du grand public.

Appel à l’action

Cet événement met en lumière les risques présents dans le système de transport maritime moderne et soulève des questions pressantes quant à la préparation aux situations d’urgence. Les conséquences de tels accidents peuvent mettre en péril les navires et leurs équipages, nuire à l’environnement et toucher la santé et la sécurité des Canadiens et des personnes au-delà de nos frontières.

Malheureusement, ce n’est pas le premier ni le dernier événement de ce genre. La question demeure la suivante : le Canada sera-t-il prêt avant la prochaine catastrophe majeure?

(Photo du ZIM Kingston de la Garde côtière canadienne)

*Yoan Marier est le président du Bureau de la sécurité des transports du Canada et compte plusieurs années d’expérience dans le domaine des transports sous réglementation fédérale et la conformité réglementaire.

 

 

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